Avez-vous vos indics ?

Par Eleonor Simiu

« Nous sommes trop centrés sur nous-mêmes ». Combien de fois j’ai entendu cette phrase dans la bouche de mes clients ! 

Or se mettre à l’écoute de son environnement c’est essentiel, surtout dans les tournants clés, les moments charnière de la vie d’une société. Où quand une fenêtre d’opportunité s’ouvre, et qu’on a besoin d’avoir les idées claires pour agir vite.

Pas facile de faire de l’« outside-in » avec le rythme effréné de l’opérationnel quand ce n’est pas carrément le mode pompier. Mais c’est pourtant indispensable.

Voici quelques pistes pour capter les tendances et aussi mieux les prendre en compte pour agir, largement inspirées d’un très éclairant entretien avec Daphnée Hor, en charge du Cultural and Strategic Foresight chez Pernod-Ricard

1. Développer sa vision périphérique

La base, c’est de suivre l’actualité de son secteur. « Nous réalisons une veille quotidienne sur la base de 1200 médias, aidés par un algorithme d’intelligence artificielle », raconte Daphnée. Et si vous n’avez pas d’outil dédié, vous pouvez aussi utiliser les logiciels accessibles sur le Web – à commencer par Twitter, désormais très utilisé pour la veille.

Attention aux angles morts : Si on veut garder un temps d’avance, repérer des « white spaces », cela passe par une veille d’autres géographies, des industries « adjacentes » –  pour Pernod-Ricard, ce sont par exemple les soft drinks, les thés, ou encore le divertissement.

2. Être pragmatique et utiliser des raccourcis

Il s’agit d’être lucide sur le type d’innovation accessible à votre entreprise selon son ADN, son positionnement … Difficile pour un grand groupe de l’agro-alimentaire de réagir à des « signaux faibles », de se lancer dans des innovations de rupture, pour des raisons qui tiennent autant à la culture qu’à la logique financière.

« J’ai appris à caractériser les impacts de sorte que mes interlocuteurs la relient à leur réalité, en présentant trois horizons : now, « near future » et long term », raconte Daphnée.

Dans une optique de « suiveur éclairé », il est souvent efficace d’observer d’autres géographies ou d’autres industries, en avance de phase sur certaines problématiques – ce qu’a fait Pernod-Ricard pour comprendre les risques et opportunités du mouvement « Black Lives Matter ». L’actualité des ventures est aussi un bon proxy. De nombreux grands groupes montent ou participent à des fonds d’investissements ; ça leur permet d’investir dans des start-ups prometteuses, mais aussi d’enrichir leur vision des tendances à travers le deal flow.

3. Se constituer son réseau de fixers

« Nous avons des réseaux de fixers, qui rendent compte des tendances dans des métropoles culturelles influentes : New-York, Shanghai, Mexico, Lagos, et des échanges plus occasionnels avec des interlocuteurs dans d’autres villes : Tokyo, Séoul, Johannesburg… », décrit Daphnee.

Et vous, qui sont vos « fixers » ? Se dégager du temps pour participer à une conférence, pour échanger en marge de l’opérationnel avec un client, un fournisseur ou un partenaire dont on estime la hauteur de vue et le flair, c’est un effort, mais le jeu en vaut la chandelle. Certains collaborateurs pas forcément dans votre ligne hiérarchique, jeunes recrues ou moins jeunes, peuvent aussi s’avérer d’excellents « fixers ».

« Je recherche des gens curieux pour mon équipe », explique Daphnee. Aimer sortir, explorer, c’est une condition sine qua non pour le job. De manière plus générale, dans des démarches de visionning et d’écoute de l’environnement, ces profils curieux, attirés par l’expérimentation, par la nouveauté, ont un rôle particulier à jouer.

4. Partir en expédition

« Nous organisons des trends’ expeditions pour découvrir des nouveaux restaurants, bars ou ‘retail spaces’ », raconte Daphnee. « Il nous est arrivé d’entraîner des membres du Codir ».

Évidemment, c’est beaucoup de stress, car au cœur d’une expédition il y a justement l’incertitude sur ce qu’on va trouver… Cela demande aussi de bousculer la hiérarchie. Mais c’est très puissant pour déclencher des prises de conscience et des changements de représentation.

Là aussi, il y a une tendance naturelle à combattre : rencontrer les clients avec qui on a une relation privilégiée… Alors que « c’est dans les bars où on n’est pas listé qu’on n’apprend le plus », témoigne Daphnee.

Une variante moins « coûteuse » en temps, c’est l’organisation d’entretiens ou de tables rondes auxquels participent les dirigeants. Quand on est confronté directement à des prospects, des partenaires qui s’expriment sur leurs vrais enjeux, leurs besoins, leurs plans, l’impact est sans commune mesure avec la lecture des mêmes informations dans un rapport !

5. Eviter les pièges du « groupthink » et du « sunflower management »

« Nous avions tous les éléments, la tendance avait été identifiée, et pourtant on n’en n’a rien fait … »

Bien souvent hélas, malgré la qualité des informations et analyses, on ignore une opportunité clé, ou on s’égare dans une mode qui s’avère un feu de paille, on investit dans une « micro-niche » …

Quand vient le moment de partager et d’exploiter, de nombreux phénomènes peuvent perturber le processus, le groupthink et sunflower effect en tête. Le groupthink, la pensée de groupe, est à l’œuvre lors de réunions où se prennent des décisions irrationnelles, que n’auraient pas pris la plupart des participants. Ce résultat paradoxal provient de ce que chaque membre du groupe essaye de conformer son opinion à ce qu’il croit être le consensus, en évacuant certains doutes. Quant au “sunflower effect” – effet tournesol », il s’agit de la tendance des groupes à s’aligner sur le point de vue du leader.

Quelques bonnes pratiques peuvent aider à contrer cela. D’une part, bien séparer le temps de l’écoute de l’environnement, du temps du plan d’actions. Dans le premier temps, on cherche l’exhaustivité, la neutralité, l’évaluation au plus juste de tendances ; dans le deuxième temps, il est question de choix, de pari, d’instinct et d’engagement. D’autre part, au moment de l’écoute de l’environnement, il faut privilégier le travail en petit groupes de 4 ou 5, soigner les temps de présentation et de partage, réserver du temps à l’appropriation, pour que l’équipe tire bien la substantifique moëlle de l’exercice.

Court-terme versus long-terme, scenarios « mainstream » versus improbables, tout cela a été largement remis depuis 2020. « Suite au démarrage de l’épidémie de Covid, au sein de l’équipe Strategic and Cultural Foresight, nous avons vécu quatre mois très intenses, pour élaborer les scénarios de sortie de crise et s’y préparer », raconte Daphnee. « Metavers, virtual conviviality… Toutes ces tendances dont je parlais et qui semblaient lointaines sont tout à coup devenues très concrètes … Avoir des bonnes fondations nous a aidé à être réactifs. Cette crise nous a renforcés dans notre rôle. »

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L’ambition de mon blog ? Vulgariser l’état d’esprit et les pratiques « consulting ». J’y reprends des conseils que j’ai eu l’occasion de donner à mes clients (et maintes fois répété à mes chers jeunes consultants). Je suis persuadée que certaines bonnes pratiques, pas si compliquées à intégrer, peuvent significativement améliorer la manière dont vous préparez vos dossiers, vous décidez, vous avancez sur vos projets stratégiques.

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Eleonor Simiu

Consultante indépendante en stratégie, spécialisée dans la grande consommation, l’automobile et l’assurance, j’aide mes clients à prendre du recul, à aborder leur problématique de manière factuelle, systématique, structurée. Coach certifiée, je crois en la puissance d’un diagnostic vraiment co-élaboré avec les équipes de mes clients.