Vous êtes sur un marché de niche, peu documenté – pas de données publiques de vente, peu d’informations sur le Web. Vous êtes un « vieux de la vieille » et vous avez l’impression de déjà bien les connaître, les concurrents … Vous vous demandez : l’analyse concurrentielle, le benchmarking, est-ce vraiment pour moi ? est-ce que ça va vraiment me servir à quelque chose ?
La réponse est oui ! Quel que soit votre contexte, avoir une approche outside-in, construire une vision juste du paysage concurrentiel, la mettre à jour suffisamment fréquemment, c’est essentiel. Il s’agit de comprendre les positions des uns et des autres, – qu’on parle marketing ou de dispositif industriel – mais aussi la dynamique, les choix, les grands paris des concurrents. C’est incontournable pour choisir les bonnes tactiques, la bonne stratégie, se donner toutes les chances de prendre les bonnes décisions et développer votre business.
Voici trois raisons pour lesquelles vous avez beaucoup à gagner à vous pencher sur vos concurrents.
1. Remettre en cause. Il y a plusieurs années, j’ai mené un benchmark pour le compte de Sony. Les ingénieurs de Sony concevaient des télévisions avec des standards particulièrement exigeants – des standards de qualité mais aussi des standards de sécurité, la conception étant soumise à une véritable bible de normes. Entre autres, ils utilisaient des matériaux ignifugés … et ont été très étonnés de découvrir que ce n’était pas le cas de Samsung. Et pour cause ! Les risques d’explosion, significatifs à l’époque de la télévision cathodique sont bien inférieurs avec les écrans plats. C’est cet éclairage externe, et l’évaluation de l’impact sur le coût, qui a poussé les ingénieurs à remettre en cause la bible des normes – un véritable tabou jusqu’alors.
2. Agir. Hubert Absolut de La Gastine, aujourd’hui Directeur Corporate Strategy and M&A chez Axa Partners, se rappelle l’impact d’un benchmark mené dans l’asset management : « On a besoin de voir où on se situe : est-on efficace, pas efficace, est-ce qu’il y en a qui sont plus efficaces que nous ? Le benchmark est un outil très efficace pour piloter les coûts. »
3. Anticiper. A l’occasion d’un exercice de veille concurrentielle, il se peut qu’on apprenne que la sortie d’un nouveau produit est imminente, ou que le concurrent s’apprête à se lancer sur un nouveau marché… On a ainsi la chance de pouvoir anticiper — plutôt que constater les dégâts deux mois plus tard.
Mais au-delà de la révélation des prochains moves, « ce qui est important, c’est d’appréhender les grands paris que font les concurrents, de « peser » leur intention, comprendre leurs bets », comme le formule Romain Metras, directeur du M&A chez Hearst Magazines. Un concurrent déclare publiquement vouloir se développer sur le Digital, en Europe de l’Est. Oui mais quelles ressources y consacre-t-il réellement ? Quels investissements a-t-il faits ? quelles équipes sont dédiées à cet objectif ? Entre une déclaration d’intention et une véritable priorité stratégique, il y a un monde … Comprendre les choix et les paris des concurrents, ça ne veut pas dire faire comme eux. Parfois au contraire, la meilleure option est de les prendre à rebours, d’investir un segment du marché qu’ils délaissent, ou encore de miser à fond sur la publicité si eux privilégient les prescripteurs.
Seulement voilà, construire un vrai benchmark, fouillé, c’est une discipline exigeante, qui tient de l’enquête et du puzzle ; qui exige de la ténacité, voire de l’acharnement, de la précision et du storytelling, des qualités d’analyse et de l’esprit de synthèse.
Voici quatre conditions pour tirer tous les fruits de votre benchmark.
Regarder les bons concurrents. Cela peut sembler trivial mais définir le juste champ concurrentiel est à la fois un exercice ardu et un véritable game-changer: « Dans ma carrière J’ai utilisé des dizaines de canevas et templates. Je trouve le modèle des 5 forces de Porter particulièrement efficace, pour attirer l’attention sur deux menaces qu’on connaît de manière théorique mais qu’on a parfois tendance à sous-estimer, les nouveaux entrants et la substitution », témoigne Jean-François Tomasin, Directeur Stratégie et Business Development chez ABF. « On a pris l’habitude de compter avec la Chine pour les commodités. Mais pour les produits plus sophistiqués, sur mes marchés, on a tendance à ne regarder que du côté de l’Europe et des États-Unis. Or Chine comme Inde se sont dotées de forces de frappe considérables en termes d’innovation. » Autre exemple, dans l’industrie du fromage, les groupes laitiers doivent aujourd’hui intégrer à leurs études concurrentielles le risque de substitution par le fromage végétal ; se demander s’il s’agit d’une menace sérieuse ou d’un effet de buzz ; se demander à quel horizon le « vromage » pourrait devenir mainstream.
Combiner avec d’autres approches. Évidemment, le benchmarking est à combineravec d’autres approches et outils, en premier lieula compréhension approfondie de ce que veulent les clients. « Quand chez Heineken, nous avons envisagé le fût jetable il y a dix ans, nous nous étions renseignés sur les axes de recherche de nos concurrents … ce qui n’a pas servi à grand-chose, à part nous montrer qu’ils se posaient les mêmes questions que nous », raconte Arnaud Tacconi, Directeur Marketing & Innovation. « Ce qui a convaincu Heineken de lancer ce produit — qui s’est avéré un grand succès – ça a été des convictions fortes sur les envies de nos clients. Comprendre vraiment ce que veulent les clients, cela donne énormément d’énergie pour changer ». De manière générale, il est très efficace de combiner un benchmark avec un audit interne — idéalement sous forme de diagnostic partagé — pour prendre les sujets « en tenailles ». On combine ainsi idées du terrain et celles « du dehors », l’énergie intrinsèque et celle de l’émulation.
Interpréter l’information brute. « Trop souvent dans les benchmarks on reste sur la « face émergée de l’iceberg. On se focalise notamment sur les prix des concurrents », estime Arnaud Tacconi. « Mais ce niveau-là ça n’a d’utilité que tactique. Ce qui est intéressant c’est comprendre si ces prix bas sont tenables dans le temps, quelle est l’organisation derrière qui permet de vendre aussi bon marché ». Faire un benchmark, cela exige de croiser les informations, les articuler ensemble, comprendre les facteurs explicatifs derrière les écarts ; reconstituer le système, le modèle économique des concurrents. Sans ce travail d’analyse et de synthèse, l’exercice est vain.
Soigner l’appropriation. « Je cherche toujours à embarquer les opérationnels, et ce n’est pas en lisant un rapport que ça se passe », explique Jean-François Tomasin. « Il faut qu’ils soient partie prenante des workstreams, qu’ils participent aux interviews clés. Il faut parfois avoir tâtonné, s’être cassé les dents, pour intégrer vraiment une étude de marché. Ce que je vise, c’est qu’à la fin d’une étude stratégique, les opérationnels se mettent en veille permanente de ce que font les concurrents, et qu’ils deviennent plus intelligents sur leur marché ».