Vision Catégorielle : décentrez-vous !

Par Eleonor Simiu

Une entreprise de grande consommation, lancée tardivement sur un segment porteur, a réussi une belle entrée sur le marché, grâce à une recette appréciée et un bon positionnement prix. Elle a rapidement gagné de la part de marché, en étant pionnier du format familial puis en introduisant de nouveaux parfums. Son approche opportuniste a porté ses fruits, cette gamme est devenue une des plus rentables du groupe.

Mais maintenant que ce segment devient mature, ces tactiques risquent de ne plus suffire. Au-delà des optimisations, il faut comprendre les leviers de la consommation, les moteurs pour défendre, faire croître la catégorie. Autrement dit, au-delà de sa stratégie pour sa propre marque, élaborer la vision catégorielle. Quel rôle joue la catégorie aujourd’hui, quelle valeur apporte-t-elle aux clients ? quel rôle peut-elle jouer demain pour exprimer tout son potentiel ? La vision catégorielle constitue un cadre, une base solide pour une authentique collaboration avec les distributeurs. Elle donne aussi un véritable cap aux collaborateurs, aux équipes commerciales et à la cellule Innovation.

La « vision catégorielle » est bien entrée dans le vocabulaire des industriels. Pour ce qui est de l’exécution, c’est plus aléatoire ! Parfois l’exercice de vision catégorielle s’avère une formalisation un peu différente de la stratégie marketing, déjà écrite par ailleurs. D’autres fois, la créativité est bien au rendez-vous … peut-être trop ? La vision catégorielle implique une véritable révolution, qui nécessite au passage une complète métamorphose des magasins. La réalité des shoppers, des distributeurs, toutes les contingences semblent avoir été oubliées.

Voici trois pistes pour construire une vision catégorielle avec le juste dosage d’ambition et de réalisme, pour donner de la perspective tout en étant bien ancré dans les préoccupations des consommateurs et distributeurs.

1. Changer de point de vue

Se décentrer, ça signifie d’abord de comprendre véritablement les consommateurs. Qui achète vos produits ? Il s’agit de répondre en termes socio-démographiques, mais aussi de manière plus fine. Quelles sont les « tribus » qui consomment le plus les produits de la catégorie ? Quels sont les moments de consommation, quels bénéfices cherchent-ils vraiment ?

Ça implique aussi – et c’est souvent une partie négligée du travail – de comprendre, vraiment, vos clients distributeurs. Pour commencer, savez-vous quels sont les contours de la catégorie, telle qu’ils la considèrent, eux ? Souvent cela ne coïncide pas avec votre conception… Une marque de légumes s’intéresse à son positionnement au sein des légumes surgelés, quand l’acheteur regarde et optimise son rayon surgelés dans son ensemble.

Quels sont les enjeux de vos clients distributeurs ? Quels indicateurs utilisent-ils au quotidien ? Outre le chiffre d’affaires, les marges, les rotations, il y a la part de marché par rapport aux autres enseignes; pour les réseaux de franchisés, le taux de détention est particulièrement suivi. Quels sont les axes clés de leur stratégie ? Désormais, la RSE, le développement durable sont devenus incontournables. Mais différentes enseignes mettent l’accent sur différents aspects : le bio, l’approvisionnement en France, la santé, la réduction des emballages… Comment concrétiser les axes de la stratégie du groupe, se démarquer des concurrents, gagner de la part de marché sur eux ?

2. Travailler en équipe pluridisciplinaire

Ce sont généralement les category managers qui portent la vision catégorielle. Mais leur réussite repose beaucoup sur leur capacité à associer, animer, fédérer au-delà de leur équipe directe, en associant notamment le Marketing, les Études, les Ventes, l’Innovation. Les responsables de comptes clés, les KAMs, en particulier peuvent énormément apporter à un exercice de vision catégorielle. Ce sont eux qui interagissent au quotidien avec les distributeurs, qui savent comment ils réfléchissent, décident, choisissent. 

Interviewer les différentes parties prenantes de l’entreprise est une bonne base. Mais le plus efficace est de faire travailler ensemble Category Management, Marketing et Ventes à la vision catégorielle. D’abord, pour mettre en commun toutes les informations, les points de vue et comprendre ensemble le contexte, les tendances, les usages de consommateurs, les attentes, des différents distributeurs. Dans un second temps pour faire réagir sur une première ébauche de vision catégorielle, « une pierre à casser », et co-construire une vision vraiment robuste.

Autre bénéfice de l’intelligence collective : les équipes commerciales qui auront activement contribué à la construction de la vision catégorielle, seront vraiment  moteur pour la porter auprès des distributeurs. 

Il peut être également efficace d’associer les équipes supply chain et RH. Pour mettre en œuvre la vision catégorielle dans une enseigne, Il faudra une équipe pluridisciplinaire, avec des incentives liés à des indicateurs non seulement pour la marque, mais au niveau de l’enseigne, tels que la profitabilité de la catégorie.

Bien plus qu’un sujet de catman, les visions catégorielles réussies sont l’aboutissement d’un projet d’entreprise. C’est au Directeur Général de porter la vision catégorielle, dans l’entreprise et auprès des directions des distributeurs. La vision catégorielle entreprise pourra ainsi jouer pleinement son rôle d’alignement des différentes parties prenantes au sein de l’entreprise, et aussi d’aider à aligner les intérêts et les actions, entre l’industriel et le distributeur.

3. Commencer par l’opérationnel

Voir loin, challenger les limites de la catégorie, présenter une vision catégorielle léchée, c’est super. Mais si vous n’êtes pas au rendez-vous sur l’opérationnel, vous n’aurez pas une écoute très attentive de votre distributeur, vous risquez même de l’agacer sérieusement.

Faites votre homework ! Maîtrisez vos chiffres sur les rotations, étayez solidement votre vision par des données consommateur et shopper. Mettez en œuvre des actions concrètes pour améliorer la performance logistique, en prenant en compte les livraisons jusque dans les rayons. Montrez votre motivation à travailler ensemble sur des leviers clés de profitabilité pour la marque comme pour le distributeur, telle que la vitesse de déploiement dans les magasins des innovations.  Avec un plan d’amélioration opérationnel sérieux, une vision catégorielle étayée, ambitieuse et partagée , la client-fournisseur win-win ne sera pas un cliché, mais bien une réalité.

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L’ambition de mon blog ? Vulgariser l’état d’esprit et les pratiques « consulting ». J’y reprends des conseils que j’ai eu l’occasion de donner à mes clients (et maintes fois répété à mes chers jeunes consultants). Je suis persuadée que certaines bonnes pratiques, pas si compliquées à intégrer, peuvent significativement améliorer la manière dont vous préparez vos dossiers, vous décidez, vous avancez sur vos projets stratégiques.

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Eleonor Simiu

Consultante indépendante en stratégie, spécialisée dans la grande consommation, l’automobile et l’assurance, j’aide mes clients à prendre du recul, à aborder leur problématique de manière factuelle, systématique, structurée. Coach certifiée, je crois en la puissance d’un diagnostic vraiment co-élaboré avec les équipes de mes clients.